jeudi 6 octobre 2011

Le "complètement" d'objet direct et la maladie mentale

J'ai voulu rester "instit", alors ils m'ont prise pour une conne...


Je n'ai jamais eu particulièrement le souci de raconter ma vie, il y a cette frontière entre le public et l'intime, ce qui se dit et ce qui ne se dit pas. 

J'ai toujours pensé qu'il y avait peu d'utilité à étaler sur la place publique le récit d'un combat, il arrive que parler puisse dispenser d'agir. 

Je n'ai pas voulu écrire un livre, même quand Françoise Dolto se proposait de le préfacer. Un livre préfacé par elle m'aurait sûrement apporter une certaine notoriété,  mais j'avais peur que ce que je faisais au jour le jour ne devienne un truc dont on s'empare, une technique, une astuce. 

 La réserve est nécessaire quand on travaille au cœur de l'humain, que l'on tente de sortir de l'abîme l'enfant, l'adolescent en désespoir. On ne travaille pas pour soi, on est l'autre pour l'autre qui cherche à devenir... et là, il n'y a pas d'astuce, pas de truc, c'est avec soi que l'on travaille jusqu'à l'extrême limite de ce que l'on peut supporter.

Non, je ne me suis pas installée comme psychanalyste comme certains pensaient que j'aurais du le faire et comme j'ai cru que j'allais le faire. Il aurait alors fallu me couper de ce qui pour moi était l'essentiel.


Quand on reçoit des SDF, des RMIstes et qu'on n'est pas "toubib", qu'il n'y aura pas de remboursement "sécu", il faudrait faire payer une "fortune" pour une simple séance à des gens qui n'ont pas les simples moyens de vivre. Les toubibs, ils s'en méfiaient, ne leur faisaient pas confiance, alors je suis restée sur la marge avec pour seul but de préparer le terrain pour qu'ils aient  un jour le courage d'aller chercher des soins plus complets et mieux appropriés. Recevoir en douce, demander pour rémunération le simple prix d'un paquet de cigarettes (moins cher à l'époque qu'aujourd'hui) et  c'était déjà beaucoup. 

Il avait travaillé tout le WE, lui le sdf, pour m'apporter ses 10 euros mensuels, en les prenant je savais que je lui rendais un peu de sa dignité.

En ce qui concernait les enfants, j'avais entre les mains deux outils essentiels : le scolaire et l'analyse. 

Alors je suis restée instit... 

Et ils m'ont prise pour un conne. Eux, pas les enfants, ni les adolescents, ni les parents qui disaient quand il y avait des progrès : c'est un miracle. Miracle non, juste un jour la parole juste au moment opportun.

Le scolaire est la part adulte de l'enfant, celle sur laquelle on peut s'appuyer pour comprendre et progresser. La thérapie d'un enfant psychotique ne se fait pas une fois par semaine dans un bureau en lui faisant faire un dessin, elle se fait au quotidien par toutes les activités qui lui sont proposées.  Parmi ces activités, parce qu'il est un accès à la culture,  au symbolique, au décryptage, à l'écriture (l'instance de la lettre dirait Lacan),  le scolaire occupe une place particulière. Pour l'adolescent, c'est le signe qu'on le prend au sérieux. 

J'ai connu des psys qui ne voulaient pas s'intéresser à l'école mais que l'enfant leur parle d'autre chose, sa famille, ses sentiments. l'enfant sortait du bureau en disant : il-elle m'a pris pour un bébé, elle m'a demandé de dessiner. Quant au jeu, à partir d'un certain âge, cela n'est pas sérieux non plus...  
"Il n'y a pas chez l'enfant le besoin naturel du jeu ; il n'y a que le besoin du travail, c'est-à-dire la nécessité organi­que d'user le potentiel de vie à une activité tout à la fois individuelle et sociale, qui ait un but parfaitement com­pris, à la mesure des possibilités enfantines" dit Célestin Freinet
 L'école c'est le souci principal de l'enfant et de l'adolescent et le souci de sa vie, là où tout se joue et se rejoue. Le plus souvent l'école est son cauchemar,  le lieu de son échec, de sa dévalorisation, parfois c'est le refuge où seul compte un savoir désincarné. Dans les deux cas, l'école est l'expression sociale du symptôme.

Le scolaire est là où se joue l'accord du verbe et du sujet, quand un enfant parle du "complè-te-ment d'objet " direct on ne peut pas dire que cela soit sans signification. 

"Il est où est le sujet, il est où le sujet ?" ... répétait Stéphanie en dansant dans le groupe...



Aujourd'hui l'enfance est en danger, l'école ne supporte plus la différence, la  fausse démocratisation de l'enseignement n'a abouti qu'à tenter de niveler, écraser, étouffer.  


Dans le même temps où l'on criminalise la maladie mentale, les enfants malades de l'école et de la pauvreté sont de plus en plus nombreux. 

Il est temps de parler, même si c'est en désespoir de cause, ils seront peu nombreux ceux qui liront ce blog, il n'y aura peut-être que moi.

Il est temps de parler pour que l'enfant, le malade mental ne deviennent pas les "complètement d'objets" d'une société en désarroi qui va tenter de le mettre au rebut.

Maryvonne Leray
Jeudi 6 octobre 2011

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