2013 “Le centre a obtenu l’accord de l’Agence nationale de sécurité du médicament pour procéder à ses premiers essais sur l’homme”
« Avec les électrodes et les implants cérébraux, on peut changer la personnalité de quelqu’un qui était anormal, pour le remettre dans la normalité. "
« Avec les électrodes et les implants cérébraux, on peut changer la personnalité de quelqu’un qui était anormal, pour le remettre dans la normalité. "
par
Agnès Rousseaux
octobre
2012
Un
centre de recherche d’un nouveau genre s’apprête à mener ses
premières expériences. Implants de nanotechnologies dans le
cerveau, neuro-stimulation, « médecine régénérative », jusqu’à
des technologies pouvant changer le comportement : telles seront les
recherches menées à Clinatec, à Grenoble, sur des patients
volontaires. Une certaine opacité entoure ce projet, résultat d’une
alliance entre industrie nucléaire, « start-up » de
nanotechnologies et neurochirurgiens. Comment seront encadrées ces
recherches ? Quel contrôle sera exercé sur leurs applications
commerciales et industrielles ?
C’est
une « clinique expérimentale » où l’on teste des dispositifs
électroniques implantés dans le cerveau. Baptisée Clinatec, cette
neuro-clinique, pilotée par le Commissariat à l’énergie atomique
(CEA) de Grenoble, travaille sur les applications des
nanotechnologies dans le champ des neurosciences, en particulier sur
les maladies neurodégénératives, comme Parkinson. Mais
difficile de savoir ce qui s’y passe vraiment : une certaine
opacité entoure ses activités. Cas unique en France,
l’établissement est situé en dehors du milieu hospitalier, sur un
terrain du CEA dont certains bâtiments sont soumis au secret
défense.
Au
sein de Clinatec, on parle interface cerveau-machine,
neuro-stimulation profonde, nano-implants dans le crâne. Ces
dispositifs médicaux inédits seront testés d’ici quelques mois
sur des patients. Cette alliance entre l’industrie nucléaire,
celle des nanotechnologies et des chercheurs en neurosciences augure
mal du nécessaire contrôle démocratique qui devrait encadrer le
périlleux usage de ces sciences pour le moins futuristes. Car les
nanotechnologies ne sont pas sans poser de nombreux problèmes (lire
nos articles à ce sujet). A Clinatec, serait-on en train d’inventer
en toute discrétion l’homme bionique de demain, bardé
d’électrodes et surveillé par des capteurs?
Des
implants cérébraux contre la dépression ou l’obésité
Point
commun de ces recherches : le développement de dispositifs
médicaux implantés dans le corps humain. Tel ce kit de stimulation
électrique du cerveau qui permet d’atténuer les effets de la
maladie de Parkinson. Une sorte de pacemaker cérébral. Plus de 40
000 malades dans le monde ont déjà été « implantés », selon
une technique développée par le professeur Alim-Louis Benabid, l’un
des concepteurs du projet Clinatec. L’objectif est aujourd’hui de
développer des techniques moins invasives, de taille réduite, grâce
aux micro et nanotechnologies. Autre exemple : des neuroprothèses,
pour permettre à des patients tétraplégiques de contrôler un bras
robotisé, via des électrodes implantées dans le crâne. Ou de se
mouvoir grâce à un exosquelette motorisé.
Clinatec
est le résultat d’un partenariat entre le CEA, le CHU de Grenoble
et l’Inserm. Le projet est porté par Jean Therme, directeur du CEA
de Grenoble [1] et par le neurochirurgien Alim-Louis Benabid [2],
actuellement conseiller scientifique au CEA. Clinatec s’inscrit
dans le prolongement des travaux du neurochirurgien sur la
stimulation cérébrale profonde et la maladie de Parkinson. Mais
le champ de recherche s’élargit : épilepsie, troubles mentaux,
troubles obsessionnels compulsifs (Toc)... Le directeur de Clinatec,
François Berger, professeur de médecine [3], évoque la possibilité
de traiter l’obésité ou l’anorexie par la neuro-stimulation
[4]. Et peut-être, demain, la dépression.
Ces
champs de recherche inédits, avec des technologies dont on ne
maîtrise pas les conséquences, ne semble pas émouvoir outre mesure
les pouvoirs publics. L’Agence régionale de santé (ARS) a délivré
une autorisation en 2010 pour l’ouverture de Clinatec. Après une
visite de contrôle, le 16 avril 2012, un arrêté autorise
l’activité du centre en tant que « lieu de recherches
biomédicales dédiées aux applications des micro-nanotechnologies à
la médecine ». Une définition bien vague. Qu’importe, les
recherches peuvent commencer. Se feront-elles avec la même opacité
que celle qui entoure l’élaboration du projet dès son origine?
Geneviève
Fioraso, ministre de Clinatec
La
construction de Clinatec est lancée en 2008 avec une « procédure
restreinte » : le CEA en tant qu’organisme de droit public classé
défense n’est pas soumis au Code des marchés publics. Le culte du
secret est fortement critiqué par ses détracteurs. Pourquoi faire
de la recherche clinique en dehors d’un hôpital ? Quel est le
statut de Clinatec ? A-t-il un comité d’éthique ? Qui compose son
« directoire », dont font partie François Berger et Alim-Louis
Benabid?
«
Nous n’avons pas voulu parler du projet tant que nous n’avions
pas l’autorisation (de l’ARS, ndlr), répond aujourd’hui
François Berger, interrogé par Basta !. Nous commençons tout juste
à communiquer. Nous avons aussi décidé de ne pas faire une
communication de science-fiction, mais d’être plus humbles sur ce
qu’on fait à Clinatec. » Après l’opacité, le temps de la
transparence ?
Le
projet Clinatec est ardemment soutenu par la ville de Grenoble. Son
maire, Michel Destot (PS), en est un fervent partisan. Rien
d’étonnant : ancien ingénieur du CEA, il a aussi dirigé une
start-up née dans le giron de celui-ci. En tant que maire, il
préside depuis 1995 le CHU de Grenoble, autre acteur clé de
Clinatec. Lors des dernières élections municipales, le Professeur
Alim-Louis Benabid figure sur sa liste. Le chercheur a également
présidé le comité de soutien de Geneviève Fioraso, alors
adjointe à la Ville de Grenoble, lors des dernières législatives.
Clinatec,
rêve des ingénieurs du nucléaire
Geneviève
Fioraso : l’actuelle ministre de l’Enseignement supérieur la
Recherche, chargée de l’« innovation » dans l’équipe de
campagne de François Hollande, est une autre actrice clé de
Clinatec. La société d’économie mixte qu’elle préside, la SEM
Minatec entreprises, accueille Clinatec sur son pôle d’activité.
Son concubin, Stéphane Siebert, est directeur adjoint du CEA
Grenoble. « Destot, Fioraso, Siebert, c’est le CEA dans la mairie,
Fioraso à l’enseignement supérieur, c’est le CEA au ministère
», analyse l’écologiste grenoblois Raymond Avrillier.
«
Le directeur du CEA nous fait courir, mais nous suivons », confie
Geneviève Fioraso [5], à propos de Jean Therme. Directeur du CEA
Grenoble, il est le concepteur de Clinatec. Un « rêve » débuté
le 2 juin 2006 dans son bureau, en présence d’Alain Bugat,
ingénieur général de l’Armement [6], alors administrateur
général du CEA, et de Bernard Bigot alors haut-commissaire à
l’énergie atomique (et aujourd’hui vice-président du Conseil
de surveillance d’Areva et administrateur général du CEA) [7]. Ce
rêve caressé par les hommes du nucléaire, civil et militaire, se
muera-t-il en cauchemar pour la démocratie?
Secret
industriel ou secret défense ?
Des
élus locaux de poids, le CEA, l’argument de l’innovation : c’est
donc sans surprise que le projet est financé par un contrat de plan
entre État et région. Plus de 20 millions d’euros sont abondés
par l’État et les collectivités [8]. La municipalité de Grenoble
participe à hauteur de 2,2 millions d’euros. Sans information ni
approbation du Conseil municipal, tempêtaient en 2009 les élus
écologistes, qui ont publié un dossier complet sur Clinatec. Malgré
leurs demandes répétées et un avis favorable de la Commission
d’accès aux documents administratifs, ces élus affirment n’avoir
obtenu en deux ans d’enquête qu’un seul document de la part des
services de l’État. Motif : secret industriel ou secret défense.
Trois
ans plus tard, les chercheurs peuvent désormais officier. Mais avant
le lancement des essais cliniques, un autre feu vert doit être donné
par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits
de santé (ANSM), ainsi que par un Comité de protection des
personnes (CPP), comme le veut la loi sur la recherche biomédicale.
Problème : du côté de l’ANSM et des CPP de la région
Rhône-Alpes, personne n’a vu passer de demande d’autorisation. «
Normal », répond la responsable du pôle recherche du CHU de
Grenoble : « Il n’y a pas de projets de recherche clinique en
cours.»
Premiers
patients en février 2013
Les
recherches en seraient au stade de « projets de projets », pas
encore aux « protocoles de recherche » ou aux essais cliniques. Une
date est-elle prévue pour l’accueil de patients ? « Aucun
calendrier n’est fixé », répond la responsable du CHU.
Visiblement les questions ne sont pas les bienvenues. « La date
d’inauguration de Clinatec est le secret le mieux gardé de
Grenoble », ironise de son côté le collectif grenoblois Pièces et
Main d’œuvre (PMO), très opposé au projet (lire notre
entretien).
Selon
l’arrêté de l’Agence régionale de santé d’avril 2012, les
recherches biomédicales doivent cependant être entreprises dans
l’année, sinon l’autorisation devient caduque. Le lieu est
opérationnel, confirme-t-on au CHU, et « des projets de l’hôpital
pourraient basculer sur ce site ». Par exemple ? Un « réglage de
machines sur volontaires sains »… Le premier protocole de
recherche – non-thérapeutique – est prévu pour mi-novembre,
confirme François Berger, à Basta !. Une cinquantaine de personnes
travaillent déjà à Clinatec, précise son directeur. Les premiers
protocoles chirurgicaux sur des patients sont prévus pour
février-mars 2013. Reste à obtenir les autorisations.
Bloc
opératoire du futur
Ingénieurs
et médecins seront donc réunis dans un même bâtiment sécurisé
de 6 000 m2 [9], qui n’est pas un établissement hospitalier. Avec
une mission commune : placer des nanos dans la tête de
patients-cobayes. Ils bénéficieront de moyens conséquents : labos
de recherche, zones expérimentales pré-cliniques, blocs opératoires
et même une animalerie pour fournir des cobayes – rats, mini-porcs
et primates – avant les tests sur les humains.
Ceux-ci
séjourneront dans une « salle d’opération du futur où
médecins et technologues uniront leurs compétences », et six
chambres d’hospitalisation. Pour que médecins et ingénieurs
puissent se comprendre, « il faut que les ingénieurs soient
présents dans le bloc opératoire jusqu’à la fin », plaide
François Berger. Les innovations « seront testées sur des
patients volontaires qui auront donné leur consentement éclairé
», décrit Clinatec, précisant que les « activités médicales
et chirurgicales de CLINATEC® relèvent des chercheurs et des
chirurgiens d’organismes de recherche (Inserm) ou de CHU ». Et non
du Commissariat à l’énergie atomique. Les patients apprécieront.
«
Transfert de connaissances à l’industrie »
Mener
des recherches, y compris sur des êtres humains avec des
technologies à risques, est une chose. En commercialiser les
applications pour l’industrie en est une autre. Cette frontière
entre essais cliniques et applications industrielles existe-t-elle à
Clinatec ? Le centre est un « hôtel à projets, ouvert aux
collaborations académiques et industrielles ». L’infrastructure
peut être louée pour des recherches publiques comme privées.
Clinatec permet le « transfert de connaissances et de savoir-faire
à l’industrie » [10], le projet est présenté comme un
partenariat public-privé exemplaire. En intégrant en un même lieu
toutes les compétences nécessaires, les promoteurs du projet
espèrent « accélérer le processus de transfert des technologies
vers le patient ». Via l’industrie pharmaceutique ou médicale.
Avant
même que les travaux ne commencent, les possibilités de débouchés
économiques semblent assurés. Le Laboratoire d’électronique et
de technologies de l’information (Leti) du CEA Grenoble, dont
dépend Clinatec, est particulièrement attaché aux collaborations
étroites avec le secteur privé. Son slogan ? « L’innovation au
service de l’industrie ». Son objectif ? Contribuer à «
renforcer la compétitivité de ses [365] partenaires industriels ».
Le Leti se targue d’être l’un des instituts de recherche les
plus prolifiques au monde en matière de start-up technologiques. La
proximité géographique de Clinatec avec les entreprises du site –
Siemens, Philips, Thales, Bio-Mérieux, Becton Dickinson ou Sanofi
Aventis – semble assurément un atout pour accélérer le transfert
de ces innovations nanomédicales!
Quels
débouchés commerciaux ?
Une
société états-unienne, Medtronic, commercialise déjà les « kits
de stimulation cérébrale neurologique profonde » à destination
des personnes atteintes de la maladie de Parkinson, selon le procédé
développé par le professeur Alim-Louis Benabid. La firme,
surnommée « le Microsoft des implants médicaux » selon PMO, a
réalisé en 2012 un chiffre d’affaires de 16,2 milliards de
dollars, en partie grâce à la nouvelle version de son stimulateur
neurologique [11].
Grâce
à cet implant, les patients peuvent améliorer leurs facultés de
parole ou de mobilité. Mais il ne faut pas se tromper de programme,
la stimulation de la fonction « parole » pouvant entraver la
mobilité et réciproquement [12] ! Cette technologie reste à risque
: mal implantée, elle peut provoquer le coma, voire le décès du
patient.
Du
traitement de Parkinson à la « médecine régénérative»
«
La définition de nouvelles voies pour la médecine de demain
implique une nouvelle culture de la recherche », précise le dossier
de présentation de Clinatec. On espère aller bien au-delà de ces
premières utilisations. Les chercheurs travailleront principalement
sur la neurostimulation, l’administration localisée de
médicaments (grâce à des pompes situées dans le corps par
exemple) ou la suppléance fonctionnelle (des machines qui prennent
le relais de fonctions défaillantes). Ils pourraient se pencher
également sur la stimulation magnétique pour lutter contre la
dépression.
On
s’aventure ici beaucoup plus loin que le traitement des mouvements
incontrôlés de la maladie de Parkinson. Par exemple, stimuler
par des électrodes le circuit cérébral de la récompense, comme le
montrent des expériences menées en Allemagne sur le traitement de
la dépression sévère. A Grenoble, on n’en est qu’à la
recherche théorique, pas encore aux essais cliniques sur ce sujet,
précise François Berger. Aurons-nous bientôt des implants
cérébraux pour effacer nos mauvais souvenirs, stimuler notre
jovialité, ou changer notre perception du monde?
En
2008, le directeur du centre pointait une autre application possible
: l’utilisation d’implants pour une « médecine régénérative
». La neurostimulation débuterait avant l’apparition des
symptômes, pour ralentir le processus dégénératif. Elle «
devrait alors être beaucoup plus précoce, peut-être pré-clinique,
dans l’hypothèse où l’on disposerait de bio marqueurs, ce qui
ne manquerait pas de poser des problèmes éthiques [13]
»,
admet François Berger... Imaginez des électrodes implantés dans le
cerveau à la naissance, qui s’activeront pour prévenir le
vieillissement.
«
On peut changer la personnalité de quelqu’un »
«
Avoir des outils implantés qui traiteront la maladie avant qu’elle
n’apparaisse peut aussi être un avantage, même si cela a un côté
impressionnant », argumentait François Berger devant les
parlementaires. « C’est vrai qu’un des buts de la nanomédecine
est de ne pas avoir à réparer. (...) À travers la nanomédecine,
on dressera une nouvelle frontière entre le normal et le
pathologique. Il faudra être extrêmement prudents. Il s’agit de
décisions de société », prévient le directeur de Clinatec [14].
Qu’en
pense son collègue Alim-Louis Benabid ? « Avec les électrodes
et les implants cérébraux, on peut changer la personnalité de
quelqu’un qui était anormal, pour le remettre dans la normalité.
On peut faire passer les gens d’un état suicidaire à un état
jovial. Faut-il en conclure qu’on peut manipuler les gens et les
faire marcher au pas cadencé ? Certes, mais on les fait tellement
marcher au pas cadencé par d’autres moyens », aurait-il
déclaré en janvier [15]. Pour l’Union syndicale de la
psychiatrie, pas de doute : « La création de Clinatec constitue
manifestement un pas de plus dans une fuite en avant
techno-scientiste qui n’a d’autre finalité que de contrôler les
populations, en réduisant l’homme à son cerveau, à son
comportement, à son utilité, à sa docilité. »
Quid
du principe de précaution ?
Clinatec
incarne donc une « nouvelle culture de la recherche » aux
implications sans précédents pour l’être humain, qui vise de
surcroît à « accélérer » le transfert de ces technologies à
l’industrie. Un double objectif difficilement compatible avec le
principe de précaution. « Le clinicien que je suis ne peut
cependant que lancer un cri d’alarme : attention au principe de
précaution. Trop de régulation tue l’innovation thérapeutique »,
déclarait ainsi François Berger lors d’une audition par l’Office
parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et
technologiques. « A l’évidence, les citoyens ont peur »,
constatait le chercheur, qui salue l’organisation de conférences
pour donner aux chercheurs « la possibilité d’éduquer des
citoyens » sur le sujet.
«
Faire croire que l’on imposerait un "nanomonde"
totalitaire à la population sans débat préalable relève non
seulement de la manipulation mensongère mais aussi d’une forme de
paranoïa politique bien connue, qui s’appuie sur la théorie du
complot, la haine des élites (sic), des élus, des responsables »,
lançait le maire de Grenoble Michel Destot, lors de l’inauguration
du pôle Minatec en 2006. « On parle beaucoup de principe de
précaution pour les domaines où l’on ne voit pas très clair, où
les scientifiques ne peuvent prendre position. L’application de ce
principe conduit à mon sens à l’inaction et à l’immobilisme,
ce qui ne me semble pas le meilleur choix », estime l’élu, qui
semble préférer l’action et le volontarisme – indéniable en
matière nucléaire... – du CEA en la matière. Tout
questionnement philosophique et éthique serait-il assimilé à de la
craintive inertie ?
Des
bugs dans le cerveau
Implanter
des électrodes dans le cerveau n’est cependant pas sans danger : «
Une mauvaise localisation de l’électrode risque aussi de provoquer
des rires ou, au contraire, des états de tristesse », pointe
François Berger [16]. Et la technique n’est pas tout à fait sûre
: des chercheurs de l’entreprise d’informatique McAfee ont
découvert le moyen de détourner une pompe à insuline installée
dans le corps d’un patient. Ils pouvaient injecter d’un coup
l’équivalent de 45 jours de traitement... D’autres ont montré
la possibilité de reprogrammer à distance un défibrillateur
implanté. Et les bugs informatiques de ces dispositifs médicaux ne
sont pas rares [17].
Un
hacker aurait même trouvé le moyen de pirater à distance les
pacemakers, et de provoquer des chocs électriques mortels en
réécrivant le code informatique... Imaginez les conséquences sur
le cerveau ! Medtronic, principal fabricant de stimulateurs
neurologiques, conseille d’éviter les portiques de sécurité des
aéroports, et prévient que le neurostimulateur peut s’allumer ou
s’éteindre lorsqu’il se trouve à proximité de petits aimants
permanents, comme ceux des haut-parleurs ou des portes de
réfrigérateur.
Une
version high tech de l’électrochoc ?
La
miniaturisation de ces dispositifs à l’échelle nano les
rendra-t-elle plus sûrs ? Ou au contraire plus incontrôlables ?
Dans la course aux nanotechnologies, des projets comme Clinatec sont
présentés comme des symboles de l’excellence française. Que nous
réserve le passage de la médecine actuelle, basée sur l’anatomie
et les symptômes, à la nanomédecine « régénérative » ? Où se
situe la limites entre médecine et « augmentation » humaine, chère
aux transhumanistes ? Jusqu’où peut-on plonger dans le cerveau ?
Et
est-il souhaitable de traiter les symptômes plutôt que les facteurs
environnementaux des maladies neurodégénératives ? La
neurostimulation « corrige les symptômes, et non la
pathologie. Autrement dit, comme le reconnaît Benabid lui-même, les
électrodes ne soignent pas. Appliquées aux souffrances psychiques,
elles ne sont que la version high-tech de l’électrochoc, analyse
le collectif Pièces et Main d’œuvre. Peu importe la cause de la
dépression, de l’addiction, du désordre alimentaire, des TOC :
envoyez la bonne fréquence et n’en parlons plus. »
Choix
de société
Si
ces techniques ont permis de rendre la vie de malades de Parkinson
plus facile, les risques de dérive n’en sont pas moins immenses.
Les neuroprothèses liant homme et machine existe depuis quelques
décennies. Mais « la miniaturisation due aux nanotechnologies
promet un saut qualitatif inédit », résume PMO. L’utilisation
des nanotechnologies est d’ores et déjà envisagé « à des
fins agressives, qu’elles soient militaires, ou consuméristes »,
pointait en 2007 le Comité Consultatif National d’Ethique. «
Investir sans réflexion sociétale, sans conscience de la dignité
humaine, avec une sorte de naïveté, dans un environnement et une
médecine qui produiraient a priori le bien-être et la santé par
les nanotechnologies aboutirait de façon paradoxale à "exiler
l’homme de lui-même". »
Des
inquiétudes que ne semblent pas partager les promoteurs de Clinatec.
60 000 personnes reçoivent chaque année en France un pacemaker
pour leurs insuffisances cardiaques, explique le dossier de
présentation de Clinatec, « un nombre encore plus conséquent de
personnes disposent de prothèses auditives et le port de lunettes
est très largement répandu dans nos sociétés ». Pourquoi
donc s’inquiéter d’un « dispositif médical » de plus ?
Des lunettes aux nanoélectrodes dans le cerveau, il n’y aurait
qu’un pas, suggèrent les promoteurs de Clinatec. Un pas que nous
sommes en train de franchir, sans aucun débat.
Agnès
Rousseaux
AJOUT
Clinatec
pleinement actif
11
février 2013
Ouvert
courant 2012 à Minatec, le centre de recherche bioclinique Clinatec
accueillera prochainement ses premiers patients volontaires.
Clinatec
vise à mettre l’innovation technologique au service de la santé.
“Le centre a obtenu l’accord de l’Agence nationale de sécurité
du médicament pour procéder à ses premiers essais sur l’homme”,
commente François Berger, son directeur. Plusieurs projets en cours
entreront ainsi en phase d’essais cliniques cette année. Le
premier concerne l’interface cerveau-machine. Il est destiné à
capter l’activité cérébrale de patients tétraplégiques, pour
la transformer en mouvements volontaires par le biais de membres
robotisés. Le projet suivant, Protool, décrypte des zones
inaccessibles ou péritumorales dans le cerveau pour favoriser des
thérapies plus curatives. Quant au projet Délice, mené dans le
cadre du pôle Minalogic, il permet la délivrance localisée de
médicaments.
Une
démarche unique au monde
“Notre
soixantaine de médecins, biologistes et ingénieurs, travaille en
lien avec des équipes pluridisciplinaires du CEA. L’objectif est
d’accélérer la recherche de nouvelles solutions thérapeutiques
jusqu’au lit du malade, mais aussi d’assurer le transfert
industriel ou la création de start-up”, précise François Berger.
Né du partenariat entre le CEA, le CHU de Grenoble, l’Inserm et
l’université Joseph-Fourier, Clinatec ambitionne en effet de
réaliser une synergie entre médecine et innovations en
micronanotechnologies. Le centre se focalise sur l’innovation
diagnostique, la neurostimulation, l’administration localisée de
médicaments et la suppléance fonctionnelle, afin de soigner les
maladies neurodégénératives, les cancers et les handicaps moteurs,
non traités par les thérapies classiques.
A.
Zylberberg
Notes
[1]
Les deux objectifs majeurs du CEA sont : « devenir le premier
organisme européen de recherche technologique et garantir la
pérennité de la dissuasion nucléaire », rappelle le dossier de
présentation de Clinatec
[2]
Alim Benabid est professeur émérite de l’Université Joseph
Fourier, il a été Chef du service de neurochirurgie au CHU Grenoble
de 1989 à 2004 et Directeur de l’Unité INSERM U318 de 1988 à
2007, membre de l’Académie des Sciences et de l’Académie de
Médecine.
[3]
François Berger, Institut des neurosciences de Grenoble, équipe
nano médecine et cerveau (INSERM- CEA)
[4]
Audition devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix
scientifiques et technologiques du 7/11/06
[5]
Source : Les Échos, 21/10/2008.
[6]
Membre du conseil d’administration de DCNS, EDF et Cogema.
[7]
Source : Le mensuel, journal interne du CEA, n°150, mai 2011, cité
par PMO
[8]
Une partie du financement est également apporté par la Fondation
philanthropique Edmond J. Safra.
[9]
Voir les détails donnés par l’architecte
[10]
Notamment lors de colloques organisés sous égide de Nicolas Sarkozy
et de Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, en 2009 et 2010
[11]
« Avec batteries sans fil rechargeables à travers la peau par
induction (comme les brosses à dents électriques) », explique un
site suisse sur la maladie de Parkinson. Ce dispositif est remboursé
par la Sécurité sociale.
[12]
« Les patients chez lesquels la stimulation permet une amélioration
de la mobilité mais limite également la faculté de la parole
peuvent passer, selon la situation, d’un programme "mettant
l’accent sur le langage" (par exemple téléphoner,
discuter) à un programme "mettant l’accent sur le mouvement"
(par exemple marcher, écrire) » Source : Parkinson.ch.
[13]
Source : Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques
et technologiques, Exploration du cerveau, Neurosciences : Avancées
scientifiques, enjeux éthiques, Compte-rendu de l’audition
publique du 26 mars 2008
[14]
Audition devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix
scientifiques et technologiques, 7/11/06.
[15]
Lors d’une présentation publique à Saint-Ismier, le 17 janvier
2012, propos rapportés par PMO
[16]
Pour Luc Mallet, Psychiatre, chercheur au centre de recherche de
l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière (ICM), les
observations sur les erreurs d’implantation ont montré, de façon
décisive, la possibilité d’agir sur des comportements, des
affects, des cognitions, en modulant de façon très précise de
toutes petites zones au coeur du cerveau, les « ganglions de la base
», alors que jusqu’à présent, on mettait en avant le rôle de
ces petites structures dans la motricité. « La stimulation de zones
très précises, par exemple, dans une petite zone qui s’appelle «
noyau sous-thalamique », qui est toute petite (à l’échelle des
millimètres), peut induire un état d’excitation et d’euphorie.
» Source par le Sénat, le 29 juin 2011
[17]
L’Organisation américaine de l’alimentation et des médicaments
(FDA) s’est penchée sur le cas des pompes à perfusion qui
auraient causé près de 20 000 blessures graves et plus de 700 morts
entre 2005 et 2009, à cause d’erreurs de logiciels. Source
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