Haute autorité pour la santé, rien que ce nom me fait frémir.
Le 8 mars, la Haute autorité de santé désavouait la psychanalyse dans le traitement de l'autisme. Les psychiatres incriminés ripostent. Entretien avec le Dr Hervé Bokobza, psychiatre et fondateur du Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire.
Maryvonne Leray
Le 8 mars, la Haute autorité de santé désavouait la psychanalyse dans le traitement de l'autisme. Les psychiatres incriminés ripostent. Entretien avec le Dr Hervé Bokobza, psychiatre et fondateur du Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire.
Comment
expliquez-vous l'unanimité des associations de parents contre le
traitement psychanalytique de l'autisme?
Ces
opposants sont en réalité très minoritaires et extrêmement
militants. Ils ne sont pas
représentatifs de l'ensemble des parents d'enfants autistes.
Parfois, leur rejet de la psychanalyse peut être fondé: il
existe des psychanalystes totalement délirants. Comme dans tous les
métiers, il y a des bons et des mauvais psys. Mais la véritable
explication, c'est qu'ils sont manipulés par le lobby des
comportementalistes. On
leur fait croire que l'approche comportementale peut sauver leurs
enfants... Si c'était vrai, je l'utiliserais! En réalité, il
s'agit de méthodes extrêmement violentes, importées des
Etats-Unis. Elles coûtent 30 000 euros par an et par enfant. Il y a
derrière tout ça un immense enjeu financier. Et même si elles
marchent parfois, cela reste du dressage! C'est comme la peur du
flic, certes efficace, mais à quel prix?
Pourquoi
les parents voudraient-ils confier leurs enfants à des
professionnels qui pratiquent le dressage?
C'est
plus facile de dire à un parent "vous n'y êtes pour rien dans
l'autisme de votre enfant, c'est génétique". Ces
professionnels jouent sur l'illusion. Je comprends très bien que ce
soit plus reposant pour les parents. C'est tellement l'horreur
absolue d'avoir un enfant autiste.
Quels
sont les arguments que les comportementalistes utilisent pour
convaincre les parents?
Les
comportementalistes disent que la psychanalyse n'est pas
scientifique, qu'il n'y a pas de preuve de son efficacité. Nous ne
répondons pas à leurs critères d'évaluation donc, pour eux, nous
ne sommes pas crédibles. Mais le principe d'évaluation à partir de
normes est radicalement opposé à notre démarche! La relation avec
le patient, on ne peut pas l'évaluer. Soigner, en psychiatrie,
demande une éthique du doute, une prise de risque. On ne peut pas
mettre des croix dans des cases.
Vous
allez même beaucoup plus loin, si l'on en croit votre site Internet:
vous y dénoncez la "folie évaluatrice et normative" des
autorités de santé. Pourtant, la HAS souhaite seulement développer
la recherche clinique afin d'évaluer l'efficacité des pratiques
psychanalytiques. Peut-on imaginer d'évaluer ces traitements
autrement qu'avec des statistiques?
Cela
se fait déjà, par le professeur Delion. C'est l'universitaire le
plus ouvert dans le domaine. Et c'est lui qui est harcelé par les
associations de parents. Il fait pourtant de la recherche et prône
une approche intégrative de toutes les disciplines. Personnellement,
je ne refuse pas l'évaluation: je l'exige tous les jours de la part
de mes équipes. Mais je suis opposé aux normes à base de
statistiques et de chiffres que les comportementalistes tentent
d'imposer. Elles ne prennent
pas en compte la singularité de chacun.
Vous
affirmez avoir de bons retours de la part des parents d'enfants
fréquentant vos centres. Comment expliquez-vous leur silence dans le
débat actuel?
Selon
moi, si les parents satisfaits de la psychanalyse ne s'expriment pas,
c'est qu'ils ont honte. L'arrivée d'un enfant autiste bouleverse une
famille. Cela renvoie les parents à leur histoire personnelle, à
des choses extrêmement douloureuses. Cela touche à leur intimité,
qu'ils n'ont pas envie de dévoiler.
Compte-tenu
du manque criant de structures d'accueil pour les enfants autistes en
France, ont-ils vraiment la liberté de critiquer les services
proposés?
Vous
ne pensez quand même pas qu'on irait virer un enfant parce que ses
parents discutent nos méthodes? Les associations de parents qui
récusent aujourd'hui notre approche, c'est vingt personnes qui
passent leur vie sur internet!. Ils font de l'envahissement
paranoïaque. Ces gens-là ne se posent aucune question concernant
leur enfant. Ils refusent, par exemple, qu'on leur demande s'ils
l'ont vraiment désiré. Cette question n'est pas habile, je vous
l'accorde, mais elle est incontournable.
Vous
prétendez défendre une approche humaniste de la santé mentale, par
opposition aux comportementalistes qui voudraient, selon vous,
"normaliser" les comportements. N'est ce pas réducteur?
Parfois,
je peux envoyer un patient consulter un comportementaliste, parce que
sa phobie est indécrottable. On peut être comportementaliste et
humaniste, à condition toutefois que la technique comportementaliste
ne soit pas le coeur du soin. C'est dans la relation avec l'enfant
qu'il se passe quelque chose. Or cette relation n'est possible
qu'avec la psychanalyse. Sans elle, on devient des machines, des
techniciens de la santé.
Actuellement,
la majorité des établissements accueillant les enfants autistes
utilisent la psychanalyse. Mais que va-t-il se passer maintenant que
la HAS a déclaré cette approche non pertinente ?
Nous
allons rentrer en résistance, en continuant de défendre haut et
fort ce que nous pensons. La psychiatrie française, que le monde
entier admire, ne doit pas être balayée par le moyen des critères
d'évaluation. Mais nous allons réfléchir autour des
recommandations de la HAS. Nous prônons une refondation de la
psychiatrie et nous prévoyons pour cela d'organiser des assises en
septembre.
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