Quand
il est arrivé, samedi, à la tribune des Assises citoyennes pour
l’hospitalité en psychiatrie, avec sa silhouette cassée,
le psychiatre Jean Oury -
une des grandes figures de ce que l’on a appelé la psychothérapie
institutionnelle, qui allait façonner la psychiatrie française de
ces cinquante dernières années -, il y a eu comme un moment de
silence. De silence et de respect parmi le millier de participants à
la manifestation sise à Villejuif (Val-de-Marne).
Au
tout début des années 50, maltraité par l’administration
d’alors, Jean Oury avait claqué la porte et il était parti sur
les routes de France avec tous ses grands malades pour fonder un
nouveau lieu : la clinique de La Borde, près de Blois
(Loir-et-Cher). L’histoire a-t-elle une suite ? Jean Oury a près
de 90 ans. Il a parlé seulement quelques minutes, racontant, comme à
son habitude, des histoires.
«Quand
un expert du ministère est venu récemment à La Borde pour regarder
la cuisine, il nous a dit qu’il fallait la fermer car elle n’était
pas aux normes. Je lui ai dit : "Pas de problèmes…" Puis
j’ai ajouté : "Mais il faut que vous sachiez que vous serez
responsable du licenciement de 200 personnes, car La Borde fermera,
le cuisinier a un rôle thérapeutique au moins aussi important que
le psychiatre." L’expert est parti et je ne l’ai plus jamais
revu.»
La
Borde est toujours là, unique, accompagnant avec chaleur des
centaines de grands malades :
«Mais
qu’est-ce qu’ils savent, ces experts, des grands schizophrènes?
a poursuivi Jean Oury. Allez, ils n’en savent rien… Ces gens-là
ne sont même pas méchants. C’est pire, ils sont simplistes.»
Tonnerre
d’applaudissements. Moments de grâce. Mais cela sera-t-il
suffisant pour inverser une tendance impressionnante qui traverse la
société française, et qui veut marginaliser la psychanalyse dans
l’univers de la psychiatrie ?
Dernière
offensive en date, le troisième plan autisme qu’a présenté, le
mois dernier, le gouvernement avec des propos ahurissants de la
ministre chargée des Personnes handicapées, Marie-Arlette Carlotti.
«En
France, depuis quarante ans, a-t-elle dit, l’approche
psychanalytique est partout. Aujourd’hui, elle concentre tous les
moyens. Il est temps de laisser la place à d’autres méthodes pour
une raison simple : ce sont celles qui marchent, et qui sont
recommandées par la Haute Autorité de santé.»
La
ministre ajoutant même :
«Que
les choses soient claires, n’auront les moyens pour agir que les
établissements qui travailleront dans le sens où nous leur
demanderons de travailler.»
«Cette
attaque est grave et stupide, a estimé le Dr
Hervé Bokobza,
coordonnateur du Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire à
l’origine de ces assises. Nous avons dû changer le déroulement de
ces assises pour faire un meeting et lancer un appel pour le retrait
du plan autisme 2013.»
Ainsi,
ce week-end à Villejuif, il y avait une ambiance de lutte. Pendant
deux jours, psychiatres, psychologues, infirmiers, mais également
malades et proches ont débattu de ces questions. L’air du temps
est difficile, entre abattement et lassitude. Dans les hôpitaux
psychiatriques, les pratiques se durcissent, mais il y a aussi la
montée en puissance des thérapies comportementalistes ou
cognitives, ainsi que l’omniprésence des médicaments.
«Il
faut balayer devant nos portes,a lâché avec force l’historienne
Elisabeth Roudinesco.
La psychanalyse a été dominante pendant cinquante ans, et
aujourd’hui elle est en voie de marginalisation. Pourquoi ?
Certains d’entre nous portent une lourde responsabilité.» Et de
prendre un exemple de ces rendez-vous ratés : «Regardez les
homosexuels ! Ils ont gagné, car ils se sont battus contre les psys
qui les prenaient pour des malades. Ils ont créé de vraies luttes
politiques. Aujourd’hui, cela ne suffit pas de protester, il faut
se réveiller, faire de la vraie politique, il faut penser à de
nouvelles relations, par exemple avec les patients.»
Peu
après, le Pr Pierre Delion - psychiatre attaqué par des
associations de parents d’enfants autistes pour la pratique du
packing (1) - a décrit une ambiance détestable. Racontant comment,
le mois dernier, un psychiatre de la Pitié-Salepêtrière a eu la
surprise d’avoir, dans son service, la visite d’un comité de
lutte contre la torture «parce qu’il pratiquait le packing».
«Accusé de torture ! Où
en somme nous ? a-t-il poursuivi.
Dans
certaines régions, des agences de santé veulent retirer de l’argent
à des centres qui ne suivent pas les recommandations officielles.»
«Il faut arrêter de nous enfermer dans nos citadelles, a argumenté
un jeune psychiatre, Mathieu Bellahsen. Il faut aller là où l’on
a besoin de nous, par exemple dans le médicosocial.» A
l’issue des assises, un appel pour le retrait du plan autisme a été
signé par près d’une centaine d’organisations.
(1)
Utilisé sur des autistes s’automutilant, le packing consiste à
les envelopper temporairement de linges froids et humides, puis à
les accompagner.
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