Judith
Miller, Jean-Robert Rabanel, Daniel Roy, Alexandre Stevens, pour
l'Institut psychanalytique de l'Enfant
L’Institut
psychanalytique de l’Enfant a pris connaissance ces derniers mois
d’une étrange campagne qui vise à exclure la psychanalyse de la
prise en charge des enfants et adolescents autistes. Cette campagne
culmine maintenant avec une proposition de loi qui a fait réagir de
nombreux représentants professionnels (1) et les plus grandes
associations familiales (UNAPEI) (2).
Ladite
campagne procède d’un intense travail de lobbying qui allègue des
intentions louables : améliorer les conditions d’une catégorie de
la population. En fait, il s’agit pour ses promoteurs d’obtenir
des pouvoirs publics des subventions massives au bénéfice de
méthodes de conditionnement, de façon à offrir des solutions
ready-made aux familles qui cherchent avec inquiétude des solutions
là où il y a une réelle pénurie d’accueil institutionnel.
L’Institut
psychanalytique de l’Enfant réunit des psychanalystes, des
intervenants d’institutions spécialisées – psychiatres,
psychologues, infirmiers, orthophonistes, psychomotriciens –, des
professionnels de champ de l’enfance – enseignants, éducateurs,
juristes, médecins… – qui agissent depuis de nombreuses années
auprès des enfants en souffrance, en s’orientant de la
psychanalyse, de Freud, de Lacan et des avancées les plus actuelles
de la recherche clinique.
C’est
à ce titre que l’Institut psychanalytique de l’Enfant, par sa
Commission d’initiative, souhaite prendre position. Il s’agit ici
de témoigner des principes qui gouvernent notre action.
1
– Rappelons qu’en France, à partir des années 60-70, ce sont
les psychiatres d’enfant et les psychologues formés à la
psychanalyse qui commencent à se préoccuper du sort des enfants
autistes jusqu’alors placés en hôpital psychiatrique ou en
institution fermée, où la dimension déficitaire était
prépondérante. Ils prennent appui sur les psychanalystes
anglo-saxons Frances Tustin, Margaret Malher, Donald Meltzer, et sur
l’institution de Maud Mannoni « l’École expérimentale de
Bonneuil », avec les travaux de Rosine et Robert Lefort, élèves de
J. Lacan. L’ensemble de ces travaux donne aux praticiens –
psychiatres, psychologues, infirmiers, éducateurs, orthophonistes,
psychomotriciens – l’idée d’un traitement possible et
d’apprentissages qui tiennent compte du symptôme du sujet, au delà
de la coercition.
Les
hôpitaux de jour, dans le mouvement de sectorisation de la
psychiatrie, se créent dans cette perspective. Il s’agit d’offrir
un accueil qui ne soit pas basé sur le déficit et qui tienne compte
de la particularité de chaque sujet. La situation familiale fait
partie de cette particularité, car les constellations familiales
sont loin d’être toutes identiques. Les parents sont reçus,
écoutés. Les enfants, les adolescents, sont reçus dans des petits
groupes, sollicités pour des « ateliers » où peuvent se décliner
leurs intérêts. Dans les moments de repas, de jeux, d’étude, ils
expérimentent de nouveaux rapports avec les objets et avec les
demandes, avec ce qui structure le monde de tous les enfants, mais
dont les enfants autistes se défendent.
2
– Cette longue expérience de diagnostic, d’accompagnement des
familles, de mise en place de parcours spécialement tissés pour
chacun, a fait l’objet de nombreuses publications et de recueil de
travaux. Elle n’aurait pas pu se soutenir sans la référence
quotidienne à la psychanalyse, à son corpus textuel, à son
enseignement vivant. Comment situer aujourd’hui la place de la
psychanalyse dans le traitement de l’enfant autiste ? Nous
proposons 5 axes de réponse :
- La
formation analytique, c’est-à-dire l’expérience d’une
psychanalyse personnelle, donne aux intervenants un outil puissant
pour situer leur action auprès des sujets autistes à la bonne
distance, en se tenant à distance d’idéaux de normalisation ou de
normalité incompatibles avec l’accompagnement professionnel de
sujets en souffrance.
- Ce
respect de la position du sujet est la boussole qui oriente en effet
cette action. Il ne s’agit en aucun cas de laisser l’enfant,
l’adolescent, être le jouet par exemple de ses stéréotypies,
répétitions, écholalies, mais, en les considérant comme un
premier traitement élaboré par l’enfant pour se défendre, d’y
introduire, dans une présence discrète, des éléments nouveaux qui
vont complexifier « le monde de l’autisme ».
- L’enjeu
est d’abord que puisse se localiser pour l’enfant l’angoisse ou
la perplexité que déclenche en lui l’interpellation d’un autre
et la mise en jeu des fonctions du corps dans leur lien avec cette
demande – se nourrir et se laisser nourrir, perdre les objets
urinaires et anaux, regarder et être regardé, entendre et se faire
entendre. Les psychanalystes ont depuis longtemps noté la dimension
de rituels d’interposition que constituent de nombreux traits
symptomatiques invalidants. La création ou la découverte par
l’enfant d’un « objet autistique », quelle qu’en soit la
forme, est souvent une ressource féconde pour créer des liens et
des espaces nouveaux, plus libres des contraintes « autistiques ».
- Les
psychanalystes ne contestent en aucune façon l’inscription des
enfants autistes dans des dispositifs d’apprentissage. Ils mettent
au contraire en valeur que le sujet autiste est déjà bien souvent «
au travail ». Les autistes dits « de haut niveau » témoignent en
ce domaine d’un investissement massif de la pensée, du langage, et
du domaine cognitif, où ils trouvent des ressources inédites. Plus
généralement, pour tous les enfants, les praticiens cherchent à
privilégier les approches pédagogiques et éducatives qui savent
s’adapter pour faire une place aux singularités sociales et
cognitives des enfants autistes. Enseignants et éducateurs
témoignent, au sein de l’Institut psychanalytique de l’Enfant,
de ce qu’ils ont élaboré avec l’enfant ou l’adolescent.
- En
revanche les psychanalystes s’élèvent avec la plus grande force
contre des méthodes dites « d’apprentissage intensif », qui sont
en réalité des méthodes de conditionnement comportemental, qui
utilisent massivement le lobbying, voire l’intimidation, pour
promouvoir des « prises en charge » totalisantes, qui
s’auto-proclament seul traitement valable de l’autisme. Loin de
cette réduction, il faut différencier les différentes approches de
l’apprentissage. Les psychanalystes et les intervenants, regroupés
au sein de l’Institut psychanalytique de l’Enfant, représentant
toutes les catégories professionnelles présentes dans le champ de
l’enfance, se déclarent tout spécialement attachés, pour les
enfants et adolescents autistes, aux systèmes de soin et d’éducation
existant en France, tant qu’ils permettent de répartir les
responsabilités respectives et différenciées entre les
professionnels du soin, de l’éducation, et les parents.
3
– Les classifications actuelles des troubles mentaux –
spécialement le DSM
– jettent une grande confusion dans le débat, faisant apparaître
au même niveau diagnostic des symptômes de l’enfance tels que le
bégaiement ou l’énurésie, des « troubles » référés à une
normalité sociale (tels que les « troubles oppositionnels avec
provocation » ou les « troubles des conduites »), et l’autisme
(« trouble autistique »). L’autisme, et ses diverses formes, se
trouve ainsi isolé comme le seul véritable tableau clinique de la
catégorie « Troubles envahissants du développement ». Les débats
en cours sur la continuité du « spectre des autismes », sur
l’opportunité de maintenir dans la même série des TED les dits «
Asperger », montrent combien cette catégorie est instable. A
l’intérieur de ce « spectre », il faut examiner dans le détail
les phénomènes d’envahissement du corps et situer les
manifestations étranges et inquiétantes dont il est la proie. Les
psychanalystes et les nombreux praticiens d’orientation lacanienne
accompagnent ainsi de nombreux enfants et adolescents dans cette
élaboration qui leur permet de garder ou de trouver une place dans
le lien social et familial. Les parents peuvent alors s’autoriser à
parler de certains traits de leur enfant, d’en saisir la valeur,
malgré leur caractère étrange. Ce travail est nécessairement
long, car il suppose de prendre en cause une différence de l’enfant
qui vient à l’encontre des attentes et des désirs qui entourent
sa présence au monde. Le psychanalyste, en place de recueillir cette
souffrance, doit être attentif à la souffrance des parents et les
soutenir dans leur épreuve.
4
– Des hypothèses étiologiques multiples – génétique,
vaccinale, neurocognitive, etc. – présentées comme des vérités
scientifiques à la suite souvent d’un unique article paru dans une
revue, dont on apprendra quelques mois ou années plus tard le
caractère biaisé, circulent dans les divers médias et affolent les
familles. Ces hypothèses causales viennent répondre strictement à
la réduction de l’autisme à un trouble du développement,
présenté comme une maladie génétique voire épidémique. Elles se
confortent de la loi de 2005 sur le handicap, qui ne vise pourtant
aucunement à porter une sentence du type « C’est un handicap,
donc cela n’est pas une maladie», mais à permettre une
orientation adaptée pour l’enfant et une aide pour la famille.
Beaucoup sur ce point reste à faire, et les associations de parents
sont une force indispensable et incontournable pour faire avancer des
projets adaptés, en particulier pour les très jeunes enfants et
pour les grands adolescents et les jeunes adultes. En ce sens,
l’annonce de l’autisme comme grande cause nationale ne pouvait
que réjouir tous ceux qui sont mobilisés dans les soins apportés
aux enfants et adolescents autistes.
5
– Les psychanalystes suivent tous les débats scientifiques autour
des causes de l’autisme infantile. Quelles que soient ces causes,
elles ne peuvent réduire le sujet à une mécanique. Ils prennent en
compte les souffrances qu’ils rencontrent et ils promeuvent les
institutions et les pratiques qui garantissent que l’enfant et sa
famille seront respectés dans le moment subjectif qui est le leur.
Ils facilitent, chaque fois que cela est possible, l’insertion de
l’enfant dans des liens sociaux qui ne le mettent pas à mal. Ils
ne sont pas détenteurs d’une vérité « psychologique » sur
l’autisme, ils ne sont pas promoteurs d’une « méthode éducative
» particulière. Ils sont porteurs d’un message clair pour le
sujet autiste, pour ses parents, et pour tous ceux qui, en
institution ou en accueil singulier, prennent le parti et le pari de
les accompagner – et les psychanalystes sont de ceux-là : il est
possible de construire un autre monde que le monde de défense et de
protection où est enfermé l’enfant autiste. Il est possible de
construire une nouvelle alliance du sujet et de son corps. L’effort
de tous vise à démontrer cliniquement cette possibilité.
Le
2 février 2012
(1)
Collectif des 39 et Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux
(2)
UNAPEI
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