mardi 5 juillet 2022

La psychothérapie institutionnelle déplait aux fossoyeurs de vie

par Maryvonne Leray (témoignage)

François Tosquelles - Lucien Bonnafé - Jean Oury (cliquez sur l'image pour agrandir)

« C’est foutu, notre époque est finie. » . Alors qu’il apprend que son ami De Vilella est à l’hôpital et sur le point de mourir, et alors qu’il est lui-même très mal en point, François Tosquelles résume en ces quelques mots son combat en faveur de l’instauration de la psychothérapie institutionnelle. Il y a sans doute dans ce dernier souffle amer toute la nostalgie de celui qui parvient au terme de son voyage mais il y a aussi, en prédiction, quelques vérités concernant un XXIe siècle oublieux de son histoire. François Tosquelles est un homme ayant passionnément aimé la vie et ses semblables, et qui ne se disait pas psychiatre mais psychiste.

L’œuvre et la vie de François Tosquelles croisent d’autres trajectoires ; celles de Jacques Lacan, de Jean Oury, de Fernand Deligny et de tant d’autres.

Et la mienne aussi dans la folle épopée de la création d'un lieu pour vivre ... c'était en septembre 1976 ... Je ne savais pas où je mettais les pieds, après cinq années passées dans l'enseignement privé à lancer ces classes que l'on disait de "transitions", certains les vivaient comme un rebut, d'autres comme une chance, et, dans le même temps avoir travaillé à inventer les "petites unités" pour les jeunes qui sortaient de prison, deux autres années à me remettre d'un accouchement et d'une opération au foie.

Bref, je débarquais dans une institution en pleine ébullition et restructuration, les médecins psychiatres étaient lacaniens, l'un proche de Françoise Dolto, l'autre venait de la clinique de La Borde où il avait travaillé avec Jean Oury...

J'étais marxiste, communiste, j'avais  quelques réticences face à la psychanalyse bourgeoise et décadente. J'étais formée à la pédagogie de l'école ouverte, et fascinée par les expériences de Makarenko...

J'avais eu une première expérience de psychanalyse rogérienne à laquelle finalement je dois beaucoup pour avoir dégagé le terrain et m'avoir permis de réellement approfondir les analyses suivantes.

J'ai donc accroché cette aventure qui m'a menée plus loin que prévu, tout au fond de moi-même à la rencontre de l'autre, du plus secret de l'humain et de sa détresse. Et comme je ne sais pas faire les choses à moitié, j'y suis passée toute entière sans compter les heures, sans voir les années s'écouler. « Peut-être n'ai-je pas vécu en mon propre corps : peut-être ai-je vécu la vie des autres » Pablo Neruda


Bien des choses ne seront plus possibles aujourd'hui, on préfère voir "l'humain" comme une machine biologique qu'il suffirait de bien huiler avec des produits chimiques.

Que l'on aille surtout pas croire que je sois anti-neuroleptique, comme ce fut la mode un certain temps, non, car l'invention des neuroleptiques est aussi ce qui a permis d'humaniser les soins. Cela a permis aux malades de se dégager du poids d'une trop grande angoisse et de libérer la parole. Mais il y a une différence entre une médication choisie qui permet de vivre mieux avec une angoisse supportable et une médication obligatoire, abrutissante et déshumanisante pour rassurer le citoyen lamba. Un jour qui n'est peut-être pas si loin ce sont des puces que l'on implantera dans le cerveau.

Notre société nous lamine, elle veut faire de nous des clones... tout ce qui n'entre pas dans la norme n'a plus sa place. Les nouveaux Tartuffes veulent cacher les pauvres, les chômeurs, les arabes, les intellectuels quand ils ne sont pas à la botte, les vieux, les banlieues, les jeunes, les enfants quand ce ne sont pas les leurs... et remettre les "fous" à l'asile... Aux profiteurs les mains pleines, tout ce qui ne les sert pas n'a plus de raison d'exister.

La Psychothérapie institutionnelle mise sur la vie, la parole qui fait vivre, elle mise sur l'humain qui rencontre l'humain, soignants, soignés tous embarqués dans le même courant de la vie. La vie ce n'est pas quelque chose d'aseptisé, de linéaire, c'est sale la vie parfois, souvent même, c'est chaotique, plein de malheur et de bonheur, de sens et de contre sens, de moment de raison, de folie, d'espoir, de désespoir, de pleurs, de rire, d'angoisse ...

La psychothérapie institutionnelle déplait aux fossoyeurs de vie et pourtant nous existons, nous vivons et nous parlerons au nom même de la vie...

Maryvonne Leray

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